Pastiche de La Honte D’Annie Ernaux

Éditions Gallimard, 1997. Folio

Page 116 :

Je suis devenue indigne de l'école privée, de son excellence et de sa perfection. Je suis entrée dans la honte.

Le pire dans la honte, c'est qu'on croit être seul à la ressentir. On se cache derrière un masque, un sourire faux. Ce sentiment nous isole, il nous fait croire que nous sommes seuls face à notre propre indignité.

Dans l’ombre de la honte, je passais mes soirées dans mon lit, captive de mes propres pensées. Le souvenir de la scène me hantait. (Avec le poids invisible de mes origines, de cette petite ville où je suis née et où mes racines se sont enfoncées profondément dans le sol.)

En même temps, une pulsion irrépressible de m'échapper.

Je rêve :

d'autres horizons,

de lieux où personne ne me connaît,

de reconstruire mon corps et mon apparence pour ressembler aux filles des publicités du Petit Écho de la mode.

Souvenir d’un soir où je scrute le plafond de ma chambre. Des images de pays lointains, de villes étrangères passent devant mes yeux. Cuba se dessine. Je plonge dans son immensité, je me laisse bercer par les rythmes de la chanson qui résonnent dans des ruelles colorées. Le vent chantait dans la voile / Tous quatre, nous étions heureux / Dans le sillage des étoiles / Tout semblait merveilleux. Mes pieds se mettent à danser, mon corps se libère. Je me laisse porter par la musique. On se promène le long des plages de sable blanc, caressés par les vagues chaudes de l’océan. Le soleil embrase ma peau, éclairant mon visage d'un éclat nouveau. Dans ce décor idyllique, je me fonds avec la nature. Les vagues de l’océan m’invitent à les rejoindre, et je saute dedans sans hésiter. L’eau salée chatouille mes pieds, et je ris aux éclats.

Puis je déambule dans les ruelles étroites, découvrant des maisons multicolores aux balcons enjolivés de plantes vertes. Les rythmes latins éveillent quelque chose de singulier en moi. Je suis le son jusqu'à une petite salle de danse animée. Timidement, j’observe des danseurs en train de tournoyer et de se déhancher avec grâce. Inspirée par leur passion contagieuse, je décide de me joindre à eux. Je me glisse sur la piste de danse, mes pieds incertains essayant de suivre les pas. Peu à peu, je me laisse porter par la musique.

Et si ce n’était pas une limite ? Je pense à Mexico, la musique change dans les oreilles. Le seul désir qui vous entraîne / Dès qu'on a quitté le bateau / C'est de goûter une semaine / L'aventure mexicaine / Au soleil de Mexico / Mexico, Mexico / Sous ton soleil qui chante / Le temps paraît trop court / Pour goûter au bonheur de chaque jour / Mexico, Mexico. L’atmosphère vibrante de la ville. Les rues remplies de couleurs et de parfums exotiques. Les sons envoûtants de la musique me guident vers une place animée où des musiciens jouent de la guitare et chantent avec engouement. Je laisse de nouveau mes pieds se laisser emporter par la danse. Les mouvements énergiques effacent ma honte. Je sens mon corps vibrer de sensations inconnues, des frissons qui parcourent ma peau, des élancements de plaisir qui échappent à ma compréhension. Cela me plonge dans un tourbillon d'émotions contradictoires, oscillant entre fascination et gêne. Je me joins à d’autres danseurs, nous formons une ronde joyeuse qui tourne au rythme de la musique. Sous le soleil de Mexico / On devient fou.

Tout comme moi j’ai cru devenir folle le 15 juin ensoleillé.

(Chercher un refuge dans l’inconnu. Un refuge éphémère où la honte s’estompe, où mes aspirations d’ailleurs prennent vie. Attrapade perpétuelle entre la honte et l’envie d’ailleurs. Un équilibre fragile, une quête sans fin vers une délivrance qui se dérobe sans cesse.)

Un autre vague souvenir : un après-midi, assise dans ma chambre, je sors mon gros paquet de cartes postales anciennes offertes par la vieille dame. Je les étale sur mon lit, observant chaque détail. Des couleurs toujours vives mais étalées, des monuments majestueux, des plages de sable fin. Chaque carte est une promesse d’aventure. Alors que mes doigts parcourent les images, mon esprit vagabonde. Je m’imagine flânant dans les ruelles animées de Paris, contemplant les temples mystiques de l’Inde, bronzant sur une plage haïtienne.

Portes ouvertes vers des horizons infinis.

Invitations à m’évader de ma vie.

Pourtant, je sais que ces cartes postales ne sont que des fragments figés dans le temps, des instants capturés qui ne dévoilent pas la réalité complète de ces lieux.

Loin de me libérer de la honte, chaque tentative de fuite imaginaire ne fait qu’accentuer mon sentiment d’enfermement. Je parcours des distances incalculables, je visite des endroits exotiques. Mais à chaque fois, la réalité me rattrape : ma mère qui tourne dans la cuisine, les sons étouffés de La Famille Duraton, des clients ivres qui se disputent dans le café.

Les échappées imaginaires ne sont que des illusions temporaires qui s'effritent rapidement face à la vie quotidienne. Les destinations lointaines de par là-bas sont des mirages, des illusions qui s'évanouissent dès que je me retrouve par chez nous.

2023